jeudi 16 juin 2016

N comme NOYRIT Joseph

NOYRIT Joseph
Valence (82)

Puisque l'on me donne la parole, je vais essayer de me conter. A ma connaissance, je n'ai plus de famille, ni enfant, ni neveu ou nièce. Une branche entière que la Grande Guerre a coupé net.
 
Je vais donc me dévoiler au travers des quelques actes que vous trouverez dans les archives du département.

Je suis né à Valence d'Agen le 19 novembre 1885 et je fus très longtemps le seul fils de Jean NOYRIT, maçon et de Catherine CHARLES, plumassière. Le 25 janvier 1895 vint enfin un petit frère, Henri Roger, né aussi à Valence. Roger n'aura pas le temps de bien connaître notre père, mort  à l'âge de 38 ans le 1er mars 1896. J'ai 10 ans, mon frère a 14 mois. Nous habitons rue des Tanneries.
 

Lavoir rue Pé de Gleyze

A deux pas de la maison, rue Pé de Gleyze, vit également ma grand-mère paternelle Marguerite DALCHÈ et mon oncle, Antoine NOYRIT, célibataire, frère ainé de mon père et son témoin au mariage. Il est plumassier en 1896, marchand de journaux en 1901 à son décès.
 
Vient vite le temps du service militaire. Je suis ajournée en 1906 et exempté l'année suivante pour raison de santé. Quant on dit "bon pour le service", les mères pensent "bon à marier". Sans service militaire et sans le "certificat de bonne conduite"  je trouverai tout de même une épouse, la très jeune Marie CANIN.


 
A la mobilisation, j'ai 29 ans, mon frère 19. Nous ne sommes pas inquiet pour Roger, la guerre ne durera pas. Exempté, non mobilisé, toujours pas en grande forme, j'attend mon conseil de révision. Les premières semaines sont terribles. Beaucoup d'hommes reviennent, blessés, mutilés, d'autres disparaissent.  L'hécatombe , que l'on ne nous dit pas,  est telle que l'on appelle déjà la classe 1915 avec 11 mois d'avance. Roger doit partir.

Il est mobilisé le 19 décembre 1914 et rejoint le 7e régiment d'Infanterie . Mon conseil de révision m'a maintenu exempté début décembre. Je reste donc à Valence tandis que de plus jeunes encore partent, d'autres  reviennent blessés.  J'ai bientôt 30 ans, je suis cultivateur,  et le regard des mères à mon égard est triste. Il reste peu d'hommes jeunes et vigoureux pour les travaux des champs, il faut se nourrir et nourrir aussi l'armée qui prend son tribut en réquisitionnant nourriture, fourrage et chevaux pour l'envoyer au front. Je fais ma part, mais dans les yeux des autres, c'est leur enfant, leur époux, leur père qu'ils préfèrerait voir à leur côté.

Roger ne reviendra pas. Blessé le 7 novembre 1915 à Agny, il est mort le lendemain à l'ambulance de Fosseux, dans le Pas de Calais.
 
Citation posthume J.O. 11.03.1920 - source Gallica BNF
 
En janvier 1918, le conseil de révision a fini par me considérer apte au service auxiliaire. C'est au moins cela. Affecté initialement au 9e Régiment d'Infanterie le 14 février 1918, je me dirige très vite, trois semaines plus tard vers un escadron de Train et Equipages Militaires, le 17e, puis en juin il me change deux fois d'Escadron, le 13 il m'affecte au 20e et le 15 juin au 15e ETEM HR. A croire qu'ils ne savent pas à quoi m'employer ! Me voilà donc dans la logistique de guerre. Il faut bien transporter les hommes, la nourriture, les armes et munitions.
 
J'ai été démobilisé le 21 mai 1919.
 
Nous avons pu rapatrier le corps de mon jeune frère, il repose en terre Valencienne, au cœur de la ville.


Carré des corps restitués, cimetière avenue Auguste GREZE
Valence d'Agen


Ma guerre à moi, je l'ai faite, loin des tranchées. C'est cela un embusqué ? "Homme resté à l’arrière, loin du front. Une chair sans canon pour la déchiqueter".

Ou bien le canon ne tirait pas assez loin pour atteindre mon corps malade.
Le 24 novembre 1923, à 38 ans, comme mon père, je referme définitivement le livre de ma vie.
 
 
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 Nota :
  • J'ai utilisé les prénoms inscrits sur les recensements, ne correspondant pas toujours au premier de l'état civil, mais surement au prénom usuel.
  • Dans ce challenge, j'aurai l'occasion de revenir sur les Escadrons du Train et Equipages Militaires.  (E.T.E.M.)
  • Les corps rendus aux familles sont inhumés dans les caveaux familiaux ou tombes seules. Les tombes abandonnées sont récupérées par la municipalité. Afin de garder intacte la mémoire de ces hommes, la municipalité a créée en 2010 ce carré de corps restitués, avec une stèle à leur mémoire.

 
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Sources :
Archives départementales du Tarn et Garonne
Mariage NOYRIT x CHARLES, Valence d'Agen le 25/11/1884
Joseph Arnaud NOYRIT : acte de naissance, publication de mariage NOYRIT x CANIN à Valence le 9 décembre 1910 - Fiche matricule registre Montauban-Agen classe 1905 n°451
René Roger NOYRIT : acte de naissance, fiche matricule,
Jean François Alexis NOYRIT : acte de décès Valence le 1/03/1896
Antoine Félix NOYRIT : acte de décès là Valence le 21/09/1908
Recensements de population Valence  : 1896
 
Autres sites
Mémorial Genweb, relevé du carré des corps restitués : Ici
Photos : Ch. BEZGHICHE (2016)

 
 

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